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Congés payés et heures supplémentaires : la Cour de cassation aligne sa jurisprudence sur le droit européen

Congés payés et heures supplémentaires : la Cour de cassation aligne sa jurisprudence sur le droit européen paie gestion secretariat heures supplementaires conges payes scaled

Le 10 septembre 2025, la Cour de cassation a rendu une décision majeure (Cass. soc. 10 septembre 2025, n° 23-14455 FPBR, lire la décision) qui bouleverse l’équilibre entre congés payés et heures supplémentaires. Désormais, les jours de congés payés doivent être pris en compte dans le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires hebdomadaires. Ce revirement de jurisprudence marque une mise en conformité avec la position constante de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

Avant le 10 septembre 2025 : une divergence entre droit français et droit européen

En droit français

L’article L. 3121-28 du Code du travail définit les heures supplémentaires comme toutes les heures effectuées au-delà de la durée légale hebdomadaire de 35 heures (ou de la durée équivalente fixée par certaines conventions collectives). Jusqu’alors, seules les heures de travail effectif (ou assimilées par la loi ou un accord collectif) pouvaient être comptabilisées.

Par conséquent, selon la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, les jours de congés payés ne constituaient pas du temps de travail effectif. Ils étaient donc exclus du calcul des heures supplémentaires, sauf disposition conventionnelle contraire.

En droit communautaire

La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 (art. 7) et l’article 31, § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne imposent une protection renforcée du droit aux congés payés.

La CJUE a posé plusieurs principes :

  • la rémunération ordinaire pendant les congés payés garantit l’effectivité du repos (CJUE, 16 mars 2006, aff. C-131/04 et C-257/04 ; CJUE, 13 décembre 2018, aff. C-385/17) ;

  • toute mesure dissuadant un salarié de prendre ses congés est contraire à la finalité du droit européen (CJUE, 6 novembre 2018, aff. C-619/16) ;

  • un désavantage financier différé peut décourager la prise de congés (CJUE, 22 mai 2014, aff. C-539/12) ;

  • enfin, en 2022, la CJUE a jugé qu’il est interdit d’exclure les jours de congés payés du calcul des heures supplémentaires ouvrant droit à majoration (CJUE, 13 janvier 2022, aff. C-514/20).

Ainsi, une contradiction persistait entre la position française et la jurisprudence européenne concernant la relation entre congés payés et heures supplémentaires.

Le litige à l’origine du revirement

Trois ingénieurs soumis à une convention de forfait hebdomadaire de 38,5 heures (prévue par l’accord collectif Syntec du 22 juin 1999) contestaient leur contrat. Ils réclamaient des rappels de salaire correspondant aux heures effectuées entre 35 et 38,5 heures.

La cour d’appel avait partiellement fait droit à leur demande mais avait exclu du calcul les semaines comprenant des jours de congés payés. Selon elle, le seuil des 35 heures n’était pas atteint faute de travail effectif.

Les salariés ont formé un pourvoi en cassation, invoquant directement le droit européen. L’occasion était donnée à la Cour de cassation de revoir sa position.

La nouvelle solution : les congés payés comptent désormais dans le calcul des heures supplémentaires

La méthode retenue

La Cour de cassation a appliqué la méthode de la conformité au droit de l’Union européenne :

  • lorsqu’une interprétation conforme du Code du travail s’avère impossible, le juge doit écarter la règle nationale contraire ;

  • si l’employeur est une personne publique, la directive 2003/88/CE et la Charte peuvent être invoquées directement ;

  • si l’employeur est privé, l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux a un effet direct horizontal, applicable au litige (CJUE 6 novembre 2018, aff. C-569/16 ; cass. soc. 15 septembre 2021, n° 20-16010 FSB ; cass. soc. 2 mars 2022, n° 20-22214 D)

La décision du 10 septembre 2025

La Haute juridiction écarte donc partiellement l’application de l’article L. 3121-28 du Code du travail et juge que :

« Les heures correspondant à des congés payés doivent être prises en compte pour déterminer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires lorsqu’un salarié est soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail. »

Concrètement, un salarié peut désormais prétendre au paiement d’heures supplémentaires même si, en raison de ses congés payés, il n’a pas effectué 35 heures de travail effectif dans la semaine.

Illustration pratique : avant et après la décision

Prenons l’exemple d’un salarié travaillant 35 heures hebdomadaires (7 heures par jour du lundi au vendredi).

  • Semaine du 22 au 28 septembre 2025 : il est en congés payés les 22 et 23, puis travaille 8,5 heures les 24, 25 et 26.

Avant la décision du 10 septembre 2025

Seules les heures réellement travaillées comptaient : 3 × 8,5 = 25,5 h. Le seuil de 35 heures n’était pas atteint, aucune majoration d’heures supplémentaires n’était due. Les 4,5 heures effectuées en plus étaient rémunérées au taux normal.

Depuis la décision du 10 septembre 2025

On intègre les jours de congés payés dans le décompte : 7 h + 7 h + (3 × 8,5 h) = 39,5 h.
Résultat : 4,5 heures supplémentaires sont dues et doivent être majorées à 125 % (taux légal).

Une solution limitée au décompte hebdomadaire

La Cour de cassation précise que sa décision concerne uniquement le décompte hebdomadaire de la durée du travail. Elle ne se prononce pas sur d’autres modalités (mensuelles, annuelles, conventions de forfait, etc.).

Il faudra donc attendre de nouveaux litiges pour savoir si cette position sera étendue. Comme pour l’acquisition de congés payés pendant les arrêts maladie (jurisprudences du 13 septembre 2023), le législateur pourrait également intervenir.

Conclusion : une avancée majeure pour les salariés

Le revirement du 10 septembre 2025 harmonise enfin le droit français avec le droit européen sur le lien entre congés payés et heures supplémentaires.
Désormais, un salarié peut obtenir la rémunération majorée des heures supplémentaires, même si son temps de travail hebdomadaire effectif a été réduit par des congés payés.

Cette évolution renforce la protection du droit aux congés annuels et évite que le salarié ne subisse un désavantage financier lorsqu’il exerce ce droit fondamental.

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Références juridiques

  • Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 (art. 7)

  • Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 31 § 2)

  • CJUE 16 mars 2006, aff. C-131/04 et C-257/04

  • CJUE 22 mai 2014, aff. C-539/12

  • CJUE 6 novembre 2018, aff. C-619/16

  • CJUE 13 décembre 2018, aff. C-385/17

  • CJUE 13 janvier 2022, aff. C-514/20

  • Cass. soc. 10 septembre 2025, n° 23-14455 FPBR lire la décision